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Il faut remplir nos réserves d’empathie 

par Margaret Eaton, cheffe de la direction nationale de l’Association canadienne pour la santé mentale, et Dr Stanley Kutcher, sénateur 

Lorsque le président américain Barack Obama a popularisé l’expression « déficit d’empathie » (empathy deficit) en 2008, il aurait très bien pu parler du Canada en 2022. Car après deux ans de pandémie, notre réservoir d’empathie fuit, et il ne nous en reste plus beaucoup. 

Au début, la situation était très différente. L’empathie nous a motivés à adopter rapidement les mesures de santé publique. Nous étions tous et toutes dans le même bateau. Par empathie, nous portions le masque et limitions nos rassemblements intérieurs pour protéger les autres. Lorsque les périodes d’isolement et les confinements nous empêchaient de nous voir en personne, nous prenions des nouvelles au téléphone et offrions généreusement de notre temps à notre prochain. Nous faisions le nécessaire pour nous protéger et nous entraider.  

L’empathie, c’est la capacité de comprendre ce qu’une autre personne peut vivre et éprouver. C’est être capable de se mettre à la place de l’autre. L’empathie est essentielle pour nous, en tant qu’humains lorsque nous vivons des difficultés ou avons besoin d’être compris. Elle l’est également pour les personnes qui composent notre système de santé : nous comptons sur leur empathie et leur bons soins. Au sein de la société, et même à l’échelle mondiale, l’empathie peut réparer les fractures et résoudre les différends et les conflits. C’est une réaction émotionnelle humaine, et la plupart d’entre nous la connaissent, mais on observe au Canada une tendance à la baisse.  

Après deux ans de restrictions, de confinements et de perte de liens sociaux avec nos proches, la famille et les collègues, les gens au Canada éprouvent non seulement de la fatigue pandémique, mais aussi de la fatigue empathique. Une enquête menée par l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) et l’Université de Colombie-Britannique montre que les sentiments d’empathie se sont érodés au cours de la pandémie, avec seulement 13 % des personnes affirmant en ressentir, contre 23 % au début de la pandémie.   

Ce constat est très préoccupant. Nous observons de plus en plus de division et de polarisation autour des politiques de santé publique, mais aussi des signalements alarmants de violence, de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des travailleurs de première ligne et du personnel soignant. Ces derniers ressentent également de la fatigue compassionnelle et empathique, après plus de deux ans à faire des heures supplémentaires, à composer avec le manque de personnel et à être témoins du lourd bilan de décès liés à la pandémie. Ils manquaient déjà cruellement de ressources et étaient déjà débordés bien avant que la COVID-19 ne vienne bouleverser notre système de santé.  

Imaginons maintenant la rencontre de ces deux réalités et ses effets : la combinaison de l’usure d’empathie chez la population et d’un système de santé accablé par une pandémie, avec pour conséquence une dégradation de la santé mentale, une augmentation des clivages sociaux et une défaillance du système. Pour résoudre ce problème, nous devons insuffler de l’empathie dans nos collectivités et nos lieux de travail, dans la prise de décision et le discours politique.  

Nous devons également investir dans la promotion de la santé mentale et la prévention de la maladie mentale. Concrètement, il faut réintroduire les apprentissages socioémotionnels au primaire, car l’empathie s’apprend plus facilement pendant l’enfance. Il faut également améliorer les connaissances en santé mentale dans nos écoles, nos milieux de travail et nos collectivités. Finalement, il faut garantir un plein accès aux soins de santé mentale pour toutes et tous, aux services communautaires en santé mentale, au logement abordable et aux mesures de sécurité alimentaire et de soutien au revenu.  
 
Cela peut sembler complexe, mais il existe déjà beaucoup d’initiatives du genre un peu partout au pays. Les services intégrés pour les jeunes sont un bon exemple d’organismes communautaires faisant équipe avec des professionnels de la santé pour offrir des soins complets par palier, sans jugement et accessibles (autrement dit, le bon niveau de soins au moment opportun). Par ailleurs, en offrant de la formation continue en santé mentale à tout le personnel soignant, on peut améliorer l’accès aux soins pour ceux et celles qui en ont besoin.  

Nous pouvons, et devons, apprendre à faire preuve d’empathie envers les autres, et peut-être plus spécialement envers ceux et celles qui composent avec des problèmes de santé mentale et de consommation de substances. Il nous faut des programmes et des services de proximité en santé mentale qui sont accessibles et adaptés aux besoins des gens. Cette approche ancrée dans la prévention allège le fardeau porté par les établissements de soins de courte durée, en évitant aux gens de se rendre à l’hôpital ou de se retrouver dans des situations d’urgence. Ce sont des sommes de moins nécessaires en santé.  

Nous célébrons la 71e Semaine annuelle de la santé mentale de l’ACSM dont le thème cette année est l’importance de l’empathie. Ce thème résonne beaucoup chez les gens et nous constatons un engouement sans précédent dans les médias traditionnels et les médias sociaux. Mais une campagne visant à susciter un changement social comme celle-ci n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Il nous faut un profond changement social et des changements systémiques. Des apprentissages socioémotionnels. Une plus grande connaissance de la santé mentale. Des soins accessibles à toutes et tous. Des dirigeants empathiques qui s’attaqueront aux manques et aux obstacles à l’accessibilité de notre système de santé. Il est possible de remédier à notre déficit d’empathie, et les réserves peuvent être remplies à nouveau. Notre santé mentale, nos relations et notre société l’exigent. Et c’est grâce à un système de santé mentale reposant sur le principe d’empathie que nous y parviendrons. 

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Margaret Eaton est la cheffe de la direction nationale de l’Association canadienne pour la santé mentale. L’honorable Dr Stanley Kutcher est un sénateur indépendant de la Nouvelle-Écosse. Il a déjà coprésidé le caucus multipartite du Parlement sur la santé mentale.