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Investir dans le communautaire : Mémoire pour les consultations prébudgétaires en vue du budget fédéral de 2024 

Les gouvernements comprennent de mieux en mieux qu’il n’y a pas de santé sans santé mentale. Un tiers de la population canadienne aura un trouble de santé mentale ou de la consommation de substances au cours de sa vie[1]. Et pourtant, des millions de Canadiennes et de Canadiens ne peuvent obtenir les soins de santé mentale dont elles et ils ont besoin pour se sentir bien. Le budget fédéral de 2023 incluait de nouveaux accords en matière de santé et un supplément au Transfert canadien en matière de santé afin d’améliorer la santé mentale de la population canadienne. Ces investissements permettent de fournir des ressources nouvelles et élargies aux hôpitaux et aux médecins et d’intégrer des spécialistes de la santé mentale et de la consommation de substances dans les équipes de services de santé.

Cependant, les hôpitaux et les médecins ne sont pas en mesure de supporter tout le poids des soins de santé mentale. Les hôpitaux sont censés répondre aux urgences et aux maladies graves alors que ce sont normalement les médecins généralistes qui permettent d’avoir accès à des soins de santé mentale au Canada. Or, bon nombre de médecins n’ont pas la formation nécessaire pour évaluer et soigner les problèmes de santé mentale et de consommation de substances et leurs options pour aiguiller leur patientèle vers d’autres services sont limitées.

La population canadienne a besoin d’un meilleur accès aux soins de santé mentale communautaires. Elle doit y avoir accès en complément des soins offerts par les médecins et les hôpitaux. Et ces soins doivent inclure des programmes qui aident à prévenir les crises et des services qui rendent le rétablissement possible, comme le soutien par les pairs, le counseling, la gestion de cas par des travailleuses et travailleurs sociaux et l’aide au logement et à l’emploi.

Or, ces services sont exclus de notre système de santé public et gratuit. Ils sont offerts par des organismes de santé mentale communautaires largement sous-financés, et lorsque des services sont offerts, les temps d’attente sont longs. Pendant ce temps, les Canadiennes et Canadiens – qui pour plusieurs peinent déjà à joindre les deux bouts en raison de la hausse du coût de la vie – doivent payer de leur poche pour des services privés de counseling et de psychothérapie. Cela signifie que seulement une partie de la population recevra les soins requis.

En vertu de la Loi canadienne sur la santé, la plupart des services de santé mentale ne sont couverts par le régime public que s’ils sont jugés « médicalement nécessaires » et qu’ils sont offerts par des médecins ou des hôpitaux. Cependant, des millions de Canadiennes et Canadiens n’ont pas de médecin de famille. De plus, lorsqu’une personne en situation de crise est traitée en milieu hospitalier, elle est souvent renvoyée chez elle sans que des soins de suivi soient mis en place pour l’aider à se rétablir.

Le gouvernement fédéral a le pouvoir législatif, et porte la responsabilité partagée, de s’assurer que l’ensemble de la population canadienne reçoit les soins de santé mentale dont elle a besoin, quand elle en a besoin. En prévision du lancement du numéro 988 pour la santé mentale et la prévention du suicide en novembre 2023, il est plus important que jamais de financer adéquatement les services communautaires en santé mentale, en santé liée à la consommation de substances et en traitement des dépendances. En l’absence d’un financement adéquat des soins communautaires, les personnes qui appelleront au 988 et auront besoin de soins supplémentaires risquent de n’avoir nulle part où aller mis à part l’urgence, ce qui épuisera encore davantage les capacités et les ressources des hôpitaux. Nous devrions prévenir autant que possible les visites à l’hôpital et offrir des soins communautaires pour aider les gens à se rétablir. Pour ce faire, le gouvernement fédéral doit investir dans le communautaire.

Recommandation 1 : Que le gouvernement investisse 950 millions de dollars sur cinq ans pour la création d’un fonds pour les « soins suivant l’appel » afin de prévenir les crises et d’offrir des services d’intervention dans les communautés.

À partir du 30 novembre 2023, les personnes en détresse psychologique ou suicidaire sévère pourront appeler au numéro 9-8-8. La ligne d’assistance 9-8-8 a pour but de désamorcer les crises (sans faire appel aux forces de l’ordre) et d’offrir un counseling immédiat. En raison de la nature même de la ligne d’assistance, les répondantes et répondants du 988 pourront seulement offrir un soutien à court terme et suggérer des ressources communautaires en santé mentale.

Dans la mesure de leurs capacités, les organismes communautaires – généralement caritatifs et à but non lucratif – offrent de nombreux services de santé mentale gratuits ou de l’aide pour obtenir des services. Cependant, la demande pour des services en santé mentale est déjà élevée et les services communautaires existants sont déjà au bout de leurs ressources[2]. Ils offrent notamment des services mobiles d’intervention en situation de crise[3], des programmes de « lits sécuritaires »[4], du soutien par les pairs et du soutien social tel que de l’hébergement d’urgence et de la nourriture.

La demande pour des soins communautaires augmentera de manière considérable dans la période précédant et suivant le lancement du numéro 9-8-8. Mais les prestataires de soins de santé communautaires, dont les listes d’attentes sont déjà longues et les capacités limitées, n’auront pas les ressources adéquates pour répondre à l’augmentation des besoins en soutien de la part des personnes qui ont appelé au 9-8-8. Plus ces personnes devront attendre longtemps, plus leurs symptômes s’aggraveront et plus la situation deviendra urgente.

Des « soins suivant l’appel » sont nécessaires.

Le gouvernement fédéral a la responsabilité de s’assurer que les personnes qui appellent à la ligne d’assistance 9-8-8 qu’il finance peuvent obtenir des services dans leur propre communauté. L’initiative du 9-8-8 offre au gouvernement fédéral l’occasion d’examiner le rôle qu’il peut jouer pour alléger les pressions et difficultés qui sont vécues dans le système de santé mentale et qui relèvent de sa compétence. Le fonds pour les « soins suivant l’appel » aidera à combler les lacunes du système et permettra au gouvernement fédéral de cibler les interventions pour répondre aux besoins uniques des communautés partout au pays, par exemple par la mise en place d’équipes mobiles d’intervention en situation de crise. Par ailleurs, le gouvernement fédéral élabore actuellement un plan d’action national pour la prévention du suicide, qu’il publiera cet automne en même temps qu’il lancera le 9-8-8. Ce plan d’action sera vain s’il n’aborde pas la manière dont les Canadiennes et Canadiens en difficulté pourront accéder à des services communautaires pour s’occuper des problèmes sous-jacents à leur crise.

L’ACSM recommande que le gouvernement fédéral crée, par l’entremise de l’Agence de la santé publique du Canada, un fonds pour les « soins suivant l’appel » en 2024, et qu’il travaille avec les groupes communautaires concernés pour sa conception et l’élaboration de mécanismes appropriés de distribution du financement.

Ce fonds vient compléter les récentes ententes sur la santé – qui prévoient le financement des services fournis par les hôpitaux et les médecins – en apportant une solution aux longs délais d’attente pour les services de santé mentale communautaires, tout en respectant les champs de compétence du gouvernement fédéral. À cet égard, l’Agence de santé publique du Canada a pour mandat de promouvoir la santé, de prévenir et de contrôler les blessures et de faciliter l’adoption d’approches nationales en matière d’élaboration de plans et de politiques en santé publique.

L’objectif du 9-8-8 est d’aider les gens qui sont en situation de crise. Or, ce n’est qu’en investissant tout autant dans la prévention que nous réduirons le nombre de personnes dans cette situation. Bien que l’Agence de la santé publique du Canada ait reçu des fonds dans le budget de 2023 pour la mise en œuvre et le fonctionnement (la dotation en personnel) du numéro 9-8-8, aucune somme n’a été allouée aux organisations communautaires qui travaillent en première ligne pour offrir des services d’intervention d’urgence et de prévention du suicide.

La création d’un fonds pour l’offre de « soins suivant l’appel » dans les communautés est une façon responsable, pour le fédéral, d’utiliser l’argent des contribuables, car c’est un moyen rentable de résoudre les situations de crise et de les prévenir. Les investissements dans tous les aspects des soins – de la prévention des crises à l’aide au rétablissement en passant par l’intervention en cas de crise – permettront d’éviter le recours inutile aux services hospitaliers, paramédicaux et policiers à court terme, et se traduiront par des économies à long terme et une réduction des pressions exercées sur les systèmes de santé, judiciaires et correctionnels. Et plus de vies seront sauvées.

Recommandation 2 : Que le gouvernement finance adéquatement la prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Le gouvernement fédéral a jusqu’à juin 2024 pour créer les règlements sur la nouvelle prestation canadienne pour les personnes handicapées. Dans le cadre des consultations prébudgétaires, ce Comité permanent – et le ministère des Finances au printemps 2024 – établira le coût de la prestation. Cependant, cette évaluation précède l’élaboration des règlements qui préciseront les critères d’admissibilité, le montant de prestation, les exemptions des gains et le processus d’appel d’une décision. Des négociations avec les gouvernements provinciaux et territoriaux devront aussi avoir lieu en vue d’harmoniser les prestations sociales. Sans connaître le nombre réel de bénéficiaires et les montants qui leur seront versés, la prévision du coût de cette nouvelle prestation risque d’être inexacte.

Le gouvernement a annoncé le calendrier et les détails du processus de consultation relatif aux règlements, y compris la façon dont seront consultées les parties intéressées dans le milieu des personnes handicapées. Les organisations qui représentent explicitement les personnes aux prises avec des troubles mentaux et des problèmes de consommation de substances n’ont pas été invitées à participer à l’élaboration de la loi sur la prestation avant son adoption par le Sénat et, par conséquent, la loi comporte des lacunes qui vont à l’encontre de l’objectif de la prestation, à savoir de réduire la pauvreté chez les Canadiennes et Canadiens à faibles revenus en situation de handicap. Ces lacunes doivent être examinées avant de procéder à l’évaluation du coût de la prestation.

Plus de 2 millions de personnes au Canada vivent avec une incapacité liée à la santé mentale[5]. Cela représente le tiers des personnes vivant avec un handicap. Les troubles de santé mentale comptent parmi les handicaps les plus incapacitants pour les travailleurs et les travailleuses et la majorité des réclamations d’assurance invalidité de courte et de longue durée se rapporte à des problèmes de santé mentale[6]. Toutefois, en comparaison avec les autres types d’incapacités, de nombreux handicaps découlant de troubles de santé mentale ou de la consommation de substances sont « invisibles », ce qui complexifie la collecte de preuves médicales. Par ailleurs, les personnes atteintes de troubles mentaux sont disproportionnellement affectées par la pauvreté en raison de la stigmatisation et du manque de mesures de soutien et de possibilités d’emploi.

Certains troubles de santé mentale, comme le trouble bipolaire et la schizophrénie, peuvent être épisodiques, ce qui veut dire que des périodes de mieux-être peuvent alterner avec des périodes d’incapacité. Trop souvent, les personnes qui vivent avec des troubles de santé mentale épisodiques se voient refuser des prestations et l’accès à des programmes, même si la Loi canadienne sur l’accessibilité [SB1] reconnaît les handicaps épisodiques.

Pour les raisons indiquées ci-dessus, les régimes d’invalidité fédéraux, provinciaux, territoriaux et privés existants refusent des prestations à des personnes qui devraient y avoir droit. Nous le savons parce que les gestionnaires de ces programmes font le suivi et rendent compte des déterminations de l’admissibilité aux prestations, y compris des taux de refus par type d’invalidité[7]. Pour que le gouvernement réponde à son objectif de réduire la pauvreté pour l’ensemble des Canadiennes et Canadiens à faibles revenus en situation de handicap, il ne doit pas reproduire les failles de ces programmes d’invalidité. Il faut donc que les personnes ayant des incapacités découlant de troubles de santé mentale soient incluses dans l’estimation du nombre de personnes admissibles qui pourrait servir à prévoir le coût de la prestation.  

Enfin, l’ACSM exhorte le gouvernement à s’attaquer aux mesures de réduction d’autres allocations prises par les provinces au moment d’évaluer le coût de la prestation. Bon nombre de Canadiennes et Canadiens en situation de handicap dépendent de programmes provinciaux d’aide sociale ou de régimes d’assurance privée (comme l’assurance invalidité de longue durée) qui comportent des clauses de récupération. Cela signifie que les gouvernements ou les assureurs privés pourraient retenir ou retirer certaines prestations ou certains fonds s’ils considèrent qu’une personne bénéficiaire a gagné « trop » d’argent avec la prestation canadienne pour les personnes handicapées pour avoir droit à d’autres aides, en tout ou en partie. Le gouvernement fédéral doit veiller à ce que les provinces et les territoires modifient leurs cadres législatifs respectifs en matière d’aide sociale, de finances et d’assurance de manière à exempter les revenus provenant de la prestation canadienne pour les personnes handicapées lors du calcul de l’aide sociale ou des prestations d’invalidité. L’argent fédéral ne doit pas servir à rembourser les prestations provinciales ni à enrichir les assureurs privés.

Recommandation 3 : Que le gouvernement investisse 100 millions de dollars sur deux ans pour financer le secteur de la prestation de soins.

L’ACSM soutient une proposition qui a été soumise à ce Comité permanent par une coalition de fédérations de services nationaux[8] et qui vise à financer à hauteur de 100 millions de dollars sur deux ans un ensemble de mesures de soutien à la santé mentale fondées sur des données probantes à l’intention des travailleuses et travailleurs des services communautaires de première ligne.

Les prestataires de soins de santé mentale et de santé liée à la consommation de substances ont besoin d’un soutien accru. Ces travailleuses et travailleurs sont plus susceptibles de subir des traumatismes, de souffrir d’épuisement professionnel et, en raison du sous-financement, de recevoir des salaires inférieurs, de faire face à des exigences de travail élevées et de vivre une usure de compassion importante[9].


[1] Statistique Canada, La maladie mentale au Canada, 2020; et Statistique Canada, Coup d’œil sur la santé, 2015.

[2] Association canadienne pour la santé mentale, À bout de bras, 2022.

[3] Des services de proximité conçus pour évaluer et stabiliser rapidement les personnes en situation de crise dans la communauté.

[4] Des services d’hébergement offrant un soutien communautaire à court terme, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, aux personnes en situation de crise ou nécessitant de l’aide pour se stabiliser. Le personnel de ces programmes peut inclure des travailleuses et travailleurs de soutien en hébergement, des spécialistes en dépendances, des infirmières et infirmiers pour la prise en charge des médicaments et des problèmes de santé et des gestionnaires de cas pour la mise en place de plans de rétablissement et la recherche d’autres aides sociales.

[5] Statistique Canada, Nouvelles données sur les incapacités au Canada, 2017.

[6] CAMH, Disability and insurance claims in primary care, 2019.

[7] Par exemple, les demandes de crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées sont largement rejetées dans la catégorie des handicaps liés aux « fonctions mentales ».

[8] Notamment l’ACSM, le YWCA, le YMCA, Grands Frères Grandes Sœurs du Canada et Centraide.

[9] Association canadienne pour la santé mentale, À bout de bras, 2022.