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Témoignage de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) devant le Comité permanent de la condition féminine (FEWO) : étude sur la santé mentale des jeunes femmes et des filles

L’ACSM est l’organisme communautaire du secteur de la santé mentale le plus vaste et le mieux établi. Elle œuvre en défense des droits et offre des programmes et des ressources qui contribuent à prévenir les problèmes de santé mentale et les maladies mentales ainsi qu’à soutenir le rétablissement. Elle est présente dans 330 communautés réparties dans toutes les provinces et au Yukon et compte dans ses rangs 11 000 bénévoles et plus de 7 000 employées et employés.

L’accès aux services de soutien en santé mentale est souvent entravé par l’âge et le genre. Selon Recherche en santé mentale Canada (RSMC), les femmes de moins de 25 ans sont surreprésentées parmi les personnes souffrant d’anxiété, de stress et de dépression. Elles sont toutefois moins susceptibles de chercher à obtenir des services de soutien en santé mentale, puisqu’elles sont souvent dans l’incapacité de payer ou n’ont pas de couverture d’assurance[1].Dans la dernière décennie, le taux de suicide chez les femmes a dépassé celui des hommes chez les 10 à 14 ans[2]. Les filles sont six fois plus susceptibles que les garçons de développer un trouble d’anxiété généralisée[3] et il y a une augmentation plus marquée des épisodes dépressifs majeurs chez les filles de plus de 13 ans que chez les garçons[4].

Les inégalités structurelles de notre système de soins de santé mentale ne font qu’exacerber ces inégalités fondées sur le genre.

Le système de soins de santé mentale du Canada est loin d’être universel. Il exige que les services soient « médicalement nécessaires » selon la Loi canadienne sur la santé pour être couverts par des assurances[5]. Les services de santé mentale et de santé liée à la consommation de substances qui sont offerts en dehors des hôpitaux et par des médecins ne sont pas jugés comme médicalement nécessaires. Cela signifie que le counseling, la psychothérapie et le traitement de la consommation de substances, pour ne nommer que ceux-là, ne relèvent pas du système public. Les personnes qui ont besoin de ces services n’ont pas le choix de compter sur leur couverture d’assurance limitée ou de se les payer de leurs poches. Beaucoup se tournent plutôt vers les organismes communautaires à but non lucratif pour obtenir ces services. Par contre, les longues listes d’attente, la difficulté de s’orienter dans le système, le coût prohibitif des soins, les inégalités géographiques ainsi que le manque de soutien communautaire sont autant de facteurs aggravants qui viennent se greffer aux inégalités fondées sur le genre et l’âge.

Des entretiens avec de jeunes femmes ayant une expérience vécue des troubles mentaux et avec les professionnelles et professionnels de première ligne en santé mentale qui les soutiennent ont révélé que les jeunes femmes et les filles se heurtaient à des difficultés particulières pour avoir accès au système et s’y retrouver. En effet, elles ont parfois le sentiment de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit, d’être impuissantes et que leur rétablissement dépend du temps et des revenus dont elles disposent.

Les jeunes femmes ont parlé de leurs interactions avec le système de soins de courte durée et ont expliqué qu’elles devaient se trouver en situation de crise ou être « suffisamment malades » pour obtenir les soins dont elles avaient besoin. Elles devaient se débrouiller seules pour s’orienter dans ce système sans avoir accès à des services de soutien communautaires une fois leur congé de l’hôpital obtenu.

Les dynamiques de pouvoir, ancrées dans le patriarcat, perpétuent les stéréotypes sexistes nuisibles qui imprègnent le système de soins de santé mentale. Lorsqu’elles cherchent à obtenir des soins de santé mentale, les jeunes femmes sont souvent perçues comme étant « dramatiques »[6], ce qui entrave encore un peu plus l’accès aux soins. Une jeune femme a souligné la façon genrée dont les médecins peuvent juger les patientes et faire pression pour qu’elles se plient à un plan de traitement, notamment en préférant les médicaments à la thérapie, et ce, malgré les inquiétudes exprimées quant aux risques des médicaments, comme les idées suicidaires. Si on parle du traitement des troubles de l’alimentation en particulier, certaines jeunes femmes affirment que des médecins ont interrompu leurs traitements parce qu’elles ne s’y conformaient pas[7] ou qu’elles n’en atteignaient pas les objectifs. 

Pour ce qui est du suicide des jeunes femmes et de la stigmatisation liée au genre, les recherches montrent que les jeunes femmes cherchent seulement à attirer l’attention ou qu’elles sont manipulatrices et ne sont pas prises au sérieux[8]. Les mesures actuelles de lutte contre les comportements suicidaires échouent souvent à aider les jeunes femmes, ne parvenant pas à créer un environnement propice à la recherche d’aide.

Les initiatives de promotion de la santé mentale en amont mises en œuvre par les organismes communautaires, comme l’apprentissage social et émotionnel, l’éducation sexuelle générale et respectueuse du corps et la littératie sur la santé mentale, permettent d’établir des relations plus saines, de réduire l’intimidation et d’améliorer l’estime de soi[9] en s’attaquant à la masculinité toxique et aux stéréotypes sexistes nuisibles liés à l’image corporelle. Ces programmes touchent de très près les personnes les plus vulnérables de nos communautés et en valent complètement la chandelle. La création de liens, les services de soutien global, le suivi et les soins sensibles aux enjeux liés au genre et adaptés à l’âge sont tout aussi importants. Cependant, l’offre existante de ces programmes et services ne peut pas répondre à la demande qui ne cesse d’augmenter.

Le gouvernement fédéral peut faire quelque chose.

Plus important encore, le gouvernement fédéral peut remplir sa promesse de créer le Transfert canadien en matière de santé mentale. L’ACSM demande un investissement équivalent à 12 % des dépenses de santé des provinces et des territoires, soit 5,3 milliards de dollars par an, dont 50 % seraient consacrés aux services communautaires. L’ACSM réclame également une loi canadienne sur la santé mentale et la santé liée à la consommation de substances pour rendre ce transfert permanent et favoriser la reddition de comptes par rapport à celui-ci.

L’adoption d’une optique genrée intersectionnelle en matière de santé mentale permet non seulement de mieux comprendre les différents besoins des filles, des jeunes femmes, des femmes transgenres et des personnes non binaires, mais aussi de trouver la meilleure façon d’y répondre. Si rien n’est entrepris pour traiter les problèmes de santé mentale rencontrés à un jeune âge, ceux-ci risquent de prendre une tournure plus grave plus tard dans la vie. Le Canada n’a pas su investir dans les soins de santé mentale et de consommation de substances dont les Canadiens et Canadiennes avaient besoin, et les résultats parlent d’eux-mêmes. Ainsi, l’ACSM compte sur l’appui de ce comité pour faire des soins de santé mentale une priorité.


[1] https://static1.squarespace.com/static/5f31a311d93d0f2e28aaf04a/t/62c837b555336a6adc0487c9/1657288632125/04July22_Supplementary+Appendix_Not+Accessing+Support+Brief.pdf et https://static1.squarespace.com/static/5f31a311d93d0f2e28aaf04a/t/62cc4207f8adaf29d4a4bc15/1657553415951/07July22_Which+Canadians+Are+Not+Accessing+Support_V3%282%29.pdf

[2] Centre for Suicide Prevention. Briefing Note and Selected Literature Review on Suicidal Behaviours Among Female Adolescents. Rapport consulté le 29 septembre 2022. « Entre 1980 et 2008, le taux de suicide des filles âgées de 10 à 19 ans est passé de 50 à 77, tandis que celui des garçons a diminué de 249 à 156. On constate une augmentation des suicides par suffocation chez les filles. » [Notre traduction]. Voir notamment http://www.cmaj.ca/content/cmaj/early/2012/04/02/cmaj.111867.full.pdf

[3] Étude de 1998 par Lewinsohn et coll.

[4] Paul E. Jose et Isobel Brown, “When Does the Gender Difference in Rumination Begin? Gender and Age Differences in the Use of Rumination by Adolescents,” Journal of Youth and Adolescence 37 (2008): 181.

[5] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5675542/#b2-189e1360 et https://cmha.ca/wp-content/uploads/2022/02/COVID-19-Recovery-Full-Paper-Layout-FR-Final.pdf

[6] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27110638/, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25280170/ et From Research to Clinical Practice: the implications for social and developmental research for psychotherapy (https://books.google.ca/books?id=pW7xBwAAQBAJ&lpg=PA164&ots=wkOV4gme4I&dq=mental%20health%20gender%20stereotypes%20overdramatic&pg=PA164#v=onepage&q=mental%20health%20gender%20stereotypes%20overdramatic&f=false).0)

[7] Lorsque l’état de santé était stable.

[8] Canetto SS, Lester D. “The epidemiology of women’s suicidal behavior”. In : Canetto SS, Lester D, éditeurs. Women and Suicidal Behaviour. New York: Springer Publication; 1995. p. 35-57.10 et Murphy GE. “Why women are less likely than men to commit suicide”. Comprehensive Psychiatry. 1998. 39:165-75. 

[9] https://www.eif.org.uk/report/adolescent-mental-health-a-systematic-review-on-the-effectiveness-of-school-based-interventions