Repousser les limites de la compassion en contrant son émoussement
11 mai 2024
Semaine de la santé mentale de l’ACSM
11 mai 2024
Des catastrophes naturelles aux drogues toxiques, en passant par l’itinérance et la violence à Gaza et en Ukraine, nos fils d’actualité nous submergent de faits accablants : tant ici qu’ailleurs dans le monde, des problèmes sociaux majeurs et des tragédies de grande ampleur affligent nos communautés.
Nous pouvons lire, par exemple, que plus de cinq millions de personnes au Canada répondaient aux critères diagnostiques d’un trouble de l’humeur, de l’anxiété ou de l’utilisation de substances psychoactives en 2022. Ou bien qu’une personne sur trois a déclaré avoir des besoins en services de santé mentale non satisfaits, ou seulement partiellement satisfaits.
Après avoir pris connaissance de ces statistiques, et des difficultés d’accès aux soins de santé mentale qu’elles suggèrent, il se peut que nous poursuivions notre journée sans même nous demander ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation en cours au pays. Il se peut même que nous ayons peu ou pas de réaction émotionnelle, même si nous savons, intellectuellement, que ces chiffres traduisent une grande souffrance humaine.
Nous nous considérons probablement comme des gens compatissants. En effet, les sondages menés par l’ACSM indiquent que plus de neuf personnes sur dix au Canada ont cette perception d’elles-mêmes. Nous avons peut-être aussi conscience des bienfaits potentiels importants, y compris pour notre propre santé mentale, qui découlent du fait de réagir avec compassion aux difficultés d’autrui. Alors comment se fait-il que, parfois, lorsque nous sommes témoins des tragédies qui secouent le monde, nous manquions de nous en préoccuper, et encore plus d’y répondre de manière significative?
La théorie de l’« émoussement de la compassion » (compassion fade, en anglais) peut nous aider à comprendre quand et pourquoi la compassion que nous ressentons est susceptible de frapper un mur1, et ce que nous pourrions faire pour l’aiguiser. L’émoussement de la compassion renvoie à l’idée que notre capacité à ressentir de la compassion diminue à mesure que notre exposition aux souffrances augmente. Les recherches montrent que nous sommes plus sensibles aux témoignages d’individus qu’aux récits relatant les épreuves ou les souffrances de groupes de personnes ou de nations2. Face à la multitude de gens dans le besoin, notre capacité à établir un lien émotif et à réagir efficacement s’affaiblit. Nous ressentons de l’impuissance et un désengagement.
La théorie de l’émoussement de compassion est loin d’être la seule explication à l’indifférence que nous ressentons parfois face à la détresse d’autrui. Le racisme, la discrimination socio-économique, le sexisme, la transphobie et d’autres formes de discrimination peuvent influencer les récits sur la souffrance que nous choisissons de raconter, ceux auxquels nous nous exposons, et ce que nous en retenons. Nous faisons des choix, inconscients ou non, sur ce qui mérite notre compassion, et ces choix sont façonnés par nos identités sociales, le fait que nous jouissions ou non de privilèges, et la société dans laquelle nous vivons.
Mais si nous voulons développer notre compassion, nous gagnons à savoir reconnaître l’émoussement de la compassion. Prendre conscience de notre propension à moins réagir aux souffrances à grande échelle nous permet d’explorer des stratégies pour y répondre néanmoins avec gentillesse et bienveillance.
La compassion est une pratique qui s’apprend. L’une des choses que l’on nous enseigne dans l’enfance est de faire preuve de gentillesse et de compassion envers les autres. Notre compassion grandit au fur et à mesure que nous reconnaissons que la souffrance fait partie de l’expérience humaine, mais aussi que l’expérience de la souffrance prend des couleurs différentes en fonction de nos trajectoires, de nos identités, de notre vécu. Nous apprenons qu’écouter et reconnaître les expériences d’une personne qui souffre contribue à sa guérison.
Lorsque nous faisons face à des problèmes qui nous semblent tragiques ou injustes, nous pouvons nous demander si la situation nous interpellerait davantage si elle touchait une seule personne. Nous pouvons nous laisser émouvoir en regardant un documentaire, en écoutant un balado, en lisant un blogue ou en parlant avec une organisation ou une personne concernée dans notre communauté. Si cela réussit à susciter notre compassion, un désir authentique d’atténuer la souffrance d’autrui, nous pouvons alors demander des suggestions pour contribuer à changer la situation.
Un récent sondage montre que même si la grande majorité des Canadiennes et des Canadiens estiment avoir de la compassion pour les autres, ce sentiment ne se traduit pas toujours en gestes concrets. Moins de 40 % des personnes interrogées ont effectivement agi pour atténuer la souffrance dans la dernière année.
Qui plus est, nous faisons actuellement face à des niveaux inquiétants de stress, d’anxiété et de solitude au Canada, une situation aggravée par les inégalités sociales, l’inflation, les divisions politiques, les violations des droits de la personne et les préoccupations persistantes à l’égard des changements climatiques. Maintenant plus que jamais, nous avons besoin de politiques et de programmes pour soutenir les gens qui sont marginalisés par la pauvreté, la précarité du logement, l’insécurité alimentaire, le racisme, etc.
Une très grande majorité de la population canadienne (quatre personnes sur cinq) est d’avis que le Canada pourrait être un pays plus compatissant et en faire plus, en adoptant des programmes de soutien social et de meilleures lois et politiques, pour aider les gens dans le besoin. Mais il n’y a pas que la classe politique et les autres décisionnaires qui peuvent agir : chaque personne au Canada peut poser individuellement des gestes pour améliorer les conditions de vie des personnes qui souffrent.
À l’ACSM, malgré le travail accompli pour déstigmatiser les troubles de santé mentale, les dépendances et l’utilisation de substances, nous savons que le cinquième de la population canadienne pour qui ces enjeux font partie du quotidien continue d’être fortement frappé par la stigmatisation et la discrimination, la pauvreté et l’itinérance.
L’une des choses que vous pouvez faire dès aujourd’hui pour étendre votre compassion à l’ensemble de la population canadienne est de vous joindre à la campagne « Agir pour la santé mentale », une coalition d’individus et d’organisations qui défendent ensemble la mise en place d’un régime universel de soins de santé mentale.
Même si les sentiments de désespoir, d’accablement ou d’impuissance sont courants, en déployant des efforts intentionnels et collectifs, nous pouvons surmonter les obstacles à notre bien-être. Apportez votre contribution en vous joignant à notre mouvement pour un régime universel de soins de santé mentale.