Dissiper le mythe de l’usure de compassion
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Au cours des dernières années, le concept d’usure de compassion en est venu à occuper une place non négligeable. Souvent associé au personnel soignant, ce terme sert à décrire un état d’épuisement émotionnel et de perte d’empathie. Toutefois, de récentes études indiquent que ce que nous appelons « usure de compassion » pourrait en fait être causé par autre chose que la compassion. Cette erreur d’appellation mine notre capacité de résilience et notre engagement à aider les autres.
Shane Sinclair, professeur agrégé à l’Université de Calgary, et son équipe du Laboratoire de recherche sur la compassion1 ont publié des études fort intéressantes sur les idées fausses entourant l’usure de compassion2. Ils ont constaté que l’épuisement de l’empathie et des ressources émotionnelles ne découle pas d’une fatigue liée à la compassion. D’autres facteurs sont plutôt à l’œuvre, dont le stress, l’épuisement professionnel et la détresse morale3.
La compassion, par sa nature même, est une ressource inépuisable. En tant qu’êtres humains, nous sommes liés par notre désir inné de faire preuve d’empathie et d’aider les autres en cas de besoin4. Cependant, la complexité croissante du monde dans lequel nous vivons met sans cesse à l’épreuve notre capacité à nous exprimer mutuellement de la compassion. Le personnel soignant ainsi que les personnes proches aidantes font également face à des contraintes systémiques continues, comme les pénuries d’effectifs, la paperasserie et le manque de ressources et de financement. Par conséquent, il est facile d’interpréter à tort l’épuisement émotionnel comme étant de l’usure de compassion.
Il importe de distinguer l’empathie de la compassion. L’empathie consiste à comprendre et à partager les sentiments des autres. Compatir, c’est pousser plus loin l’empathie pour essayer activement de soulager la souffrance. L’épuisement ne provient pas de l’empathie elle-même, mais du manque de soutien et de ressources nécessaires pour transformer l’empathie en action concrète.
Les études menées par la Kristin Neff, experte dans le domaine de l’autocompassion, ont montré qu’en se donnant comme priorité de prendre soin de soi et de fixer des limites saines, on peut renforcer sa résilience et mieux protéger sa santé mentale5. Mais pour être efficace, ce bon conseil doit s’accompagner de solutions systémiques visant à lutter contre l’épuisement professionnel et la détresse. Le discours entourant l’usure de compassion jette souvent le blâme sur les individus et sur ce que l’on perçoit comme étant des carences émotionnelles. En recadrant la discussion, nous pouvons réorienter nos efforts vers des solutions qui s’attaquent aux causes profondes de la détresse et promeuvent des pratiques de prestation de soins durables.
Dans le secteur des soins, les organisations et leurs bailleurs de fonds jouent un rôle essentiel dans l’atténuation des effets de l’épuisement professionnel et de la détresse chez le personnel6. En favorisant une culture de soutien et en fournissant une formation et des ressources adéquates, les employeurs peuvent créer des environnements qui favorisent l’épanouissement tant du personnel soignant que de la clientèle7.
Le mythe de l’usure de compassion nous détourne de la véritable nature de la compassion et nuit à notre capacité d’adaptation. La reconnaissance des facteurs systémiques en jeu et un changement de perspective sur l’épuisement émotionnel nous permettent de cultiver une société plus compatissante qui soutient à la fois les personnes qui prodiguent les soins et celles qui les reçoivent. Efforçons-nous de créer des environnements où l’empathie règne et où la compassion n’est pas considérée comme une ressource limitée, mais comme une force inépuisable capable d’engendrer des changements positifs.
1 https://www.drshanesinclair.com/
2 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S002074891730010X
3 https://theconversation.com/stressed-running-on-empty-its-not-compassion-fatigue-79326
4 James K. Rilling et coll., « A Neural Basis for Social Cooperation », Neuron, 2002, vol. 35, no 2, p. 395-405.
5 K. D. Neff et K. A Dahm, « Self-Compassion: What It Is, What It Does, and How It Relates to Mindfulness », dans : B. Ostafin, M. Robinson, B. Meier (dir.), Handbook of Mindfulness and Self-Regulation, Springer, New York, 2015. https://doi.org/10.1007/978-1-4939-2263-5_10
6 https://ir.library.louisville.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1122&context=jwellness
7 https://www.tandfonline.com/doi/epub/10.1080/09638237.2022.2118692?needAccess=true